Info: Carte d'avertissement de risques agroclimatiques post-récolte

Les pertes post-récolte (PHL) peuvent se produire à chaque étape de la chaîne de valeur post-récolte, de la récolte au stockage jusqu'à la commercialisation. Une partie de la récolte est par exemple abandonnée sur le champ, renversée pendant le transport ou alors attaquée par des moisissures, insectes ou rongeurs pendant la récolte, le séchage ou le stockage. Tous ces facteurs peuvent réduire la quantité ou la qualité de la nourriture disponible et ainsi réduire les occasions de générer des revenus pour les ménages et nations producteurs d'aliments. Les pertes post-récolte (PHL) des cultures alimentaires, pendant ou après la récolte, signifient une perte d'aliments précieux et des intrants nécessaires à leur production et leur distribution. Les causes des pertes post-récolte et les étappes auxquelles elles ont lieu sont nombreuses et varient en fonction de la culture, des conditions agroclimatiques et de divers autres facteurs et contextes.

Les changements de température, de pluviosité, et d'humidité et les événements météorologiques extrêmes affectent les systèmes post-récolte et les facteurs associés responsables des pertes - tels que les insectes, moisissures, la manipulation, le transport, la durée du stockage, les conditions et méthodes - ainsi que les réponses naturelles et humaines à ces changements climatiques. Stathers et al. 2013 passent en revue et discutent l'impact des facteurs climatiques et des climats changeants sur l'agriculture post-récolte, en mettant l'accent sur les cultures de base en Afrique subsaharienne.

Compte tenu des relations entre les facteurs agroclimatiques et les organismes responsables des pertes post-récolte, il est possible de développer des modèles qui utilisent les données agroclimatiques pour produire des avertissements de risque des facteurs causant une bio-détérioration post-récolte qualitative ou quantitative. Le texte suivant décrit un modèle d'alerte aux risques développé par Felix Rembold dans le cadre du système d'information Africain sur les pertes post-récolte (APHLIS) pour fournir des alertes aux risques de mycotoxines au niveau provincial, basées sur des critères agroclimatiques, en Afrique subsaharienne.

Que sont les mycotoxines ?

Les mycotoxines sont des contaminants majeurs de l'alimentation humaine et animale, affectant mondialement la sécurité des aliments et de l'alimentation, en particulier dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Les mycotoxines sont des substances chimiques toxiques produites par certaines moisissures qui sont capables de pousser sur un grand nombre de denrées. Si les aflatoxines sont probablement les mycotoxines les mieux connues et les plus étudiées, il existe de nombreuses autres mycotoxines, avec plus de 400 différentes espèces signalées à ce jour.  

La contamination et la croissance fongique peuvent avoir lieu au niveau des cultures pendant les étapes de production sur les champs, ou pendant la manipulation, le séchage, le stockage, le transport, la transformation ou la commercialisation des denrées. Une telle contamination entraîne des pertes importantes de qualité de la récolte et peut représenter un problème majeur de sécurité sanitaire des aliments. Les mycotoxines sont invisibles à l'œil nu. Bien que l'élimination des grains moisis contaminés avant le stockage, la vente ou la consommation puisse contribuer à limiter le risque d'une consommation de mycotoxines par les humains ou le bétail, les céréales, légumineuses et autres cultures d'apparence propre et saine peuvent contenir un niveau dangereux de mycotoxines.

Les mycotoxines sont un problème d'étendue mondiale, mais se manifestent jusqu'ici plus fréquemment en régions tropicales. En Afrique en particulier, la contamination par les mycotoxines reste une préoccupation majeure, avec des effets négatifs non seulement sur la santé et l'alimentation humaine et la productivité animale, mais aussi sur le commerce et l'économie en général.

La consommation d'aliments contaminés peut affecter la santé humaine et animale et avoir de graves conséquences sur la santé. Par exemple, l'exposition chronique aux aflatoxines peut provoquer une augmentation des taux de cancer du foie, ou alors l'impact négatif sur l'alimentation se traduit par une prévalence plus élevée de retards de croissance et de troubles de développement cognitif chez les enfants, ainsi que par une immunité réduite. L'intoxication aiguë par aflatoxines est rare mais grave, affectant la digestion et entraînant des œdèmes, une léthargie, la cécité, tout en étant potentiellement mortelle.

Des températures élevées, des conditions météorologiques extrêmes (sécheresse, pluies fortes), la teneur en humidité et la présence d'organismes nuisibles favorisent la présence des moisissures et la production de mycotoxines. Le changement du climat et la multiplication des phénomènes climatiques extrêmes rendent plus difficile la prévention de la contamination par les mycotoxines. Warnatzsch et al.2 020 ont modélisé l'impact de différents scénarios de changement climatique, de cultivars et de dates de plantation sur le risque de contamination par les aflatoxines de la récolte de maïs du Malawi en 2035 et 2055 pour chacune des trois régions du pays. 

Pour en savoir plus sur les mycotoxines, voir Ayalew et al., 2016 ; Udomkun et al., 2017 ; Gbashi et al., 2018.

Info : Carte d'avertissement de risques agroclimatiques post-récolte

L'importance de l'information climatique pour l'alerte au risque de mycotoxines

Croissance fongique sur des épis de maïs séchés au soleil au Malawi. Les mycotoxines sont invisibles. Bien que l'élimination des grains moisis avant le stockage, la vente ou la consommation puisse contribuer à limiter le risque d'une consommation de mycotoxines par les humains ou le bétail, même les céréales, légumineuses et de nombreuses autres cultures d'apparence propre et saine peuvent contenir un niveau dangereux de mycotoxines. 

Pour plusieurs cultures, y compris le maïs et les arachides, le développement d'Aspergillus flavus et d'autres moisissures toxiques pendant la période pré- et post-récolte est essentiellement lié aux conditions météorologiques. Par exemple, une période de stress hydrique à certains stades de la croissance végétale peut augmenter le risque d'une contamination fongique avant la récolte, et peut favoriser la production de mycotoxines et donc la contamination de la culture alimentaire. Des pluies particulièrement abondantes immédiatement avant la récolte ou pendant le séchage favorisent également la croissance et l'infection par diverses moisissures. Cette contamination se propage au long de la chaîne alimentaire et ne se manifeste normalement qu'au moment des analyses des grains après la récolte.

Au niveau de l'agriculture et de la sécurité alimentaire, plusieurs systèmes d'alerte précoce surveillent à la fois le stress hydrique et les précipitations excessives, ce qui suggère la possibilité d'utiliser leurs données pour cartographier les conditions météorologiques susceptibles d'augmenter le risque de contamination par les mycotoxines.  Cela permet de créer des cartes de risque agroclimatique de mycotoxines afin de fournir des informations d'alerte précoce sur un risque élevé d'une contamination par les mycotoxines et pour guider des mesures ciblées d'analyse et d'atténuation du risque. 

Dans le cas du maïs, plusieurs modèles de croissance des cultures ont été utilisés pour prédire la contamination par les aflatoxines, notamment ceux de Chuahan et al. en 2010 et par Battilani et al. en 2014. Ces études ont indiqué un risque augmenté de contamination par les aflatoxines en fonction du stress hydrique en période de remplissage des grains dans certains écarts de température. Cette relation a été examinée sur le terrain en Australie et au Kenya (Chuahan et al., 2015). Dans les zones de climat semi-aride et tropical d'Afrique, l'écart des températures est sans doute idéal pour le développement des mycotoxines pendant la majeure partie de l'année, ce qui suggère la nécessité de se concentrer sur les niveaux d'humidité pendant les étapes pré- et post-récolte. 

Pour que les avertissements agroclimatiques sur les risques liés aux mycotoxines soient disponibles dans APHLIS, on suppose que les relations décrites ci-dessus entre les facteurs de stress végétal (sécheresse et pluie excessive) et la contamination par les mycotoxines, testées en laboratoire ainsi que dans des conditions de terrain localisées, restent valables à différentes échelles spatiales et pour les principales cultures au niveau de la province ou du pays. Le fait d'ignorer la variabilité des climats et des facteurs non-climatiques dans les différentes zones d'une province constitue certes une majeure approximation. Mais nous estimons que la mise à disposition d'alertes précoces au risque de mycotoxines à base du climat au niveau provincial est essentielle pour permettre une surveillance plus détaillée et pour guider des enquêtes sur le terrain. Ces informations sont considérées être utiles pour les analystes de l'agriculture et de la sécurité alimentaire au niveau des provinces et des pays, alors qu'elles sont probablement trop peu détaillées pour travailler au niveau des exploitations.

Modélisation agroclimatique simple du risque de mycotoxines à partir des données ASAP (Anomaly hotSpots of Agricultural Production) 

ASAP (Anomaly hotSpots of Agricultural Production) est un système d'alerte précoce agricole qui fournit des alertes de sécheresse pour les zones d'insécurité alimentaire du monde, sur la base de données climatiques et biophysiques mises à jour par décades, issues de l'observation de la Terre et de modèles météorologiques. Le système ASAP surveille les anomalies des indicateurs météorologiques et biophysiques pour les zones agricoles en général (toutes les cultures), mais ne peut pas fournir d'informations spécifiques aux cultures du fait que, à l'échelle mondiale, des cartes détaillées par type de culture ne sont pas disponibles. Un modèle simple a été développé qui utilise les anomalies de sécheresse pré-récolte et les anomalies de précipitations excessives en période de récolte du système ASAP pour modéliser le risque agroclimatique de mycotoxines et le cartographier tous les dix jours pour le site web d'APHLIS.

Les cartes affichées par APHLIS se servent du même modèle phénologique que le système ASAP qui se base sur l'analyse d'une série temporelle de données d'indice de végétation par différence normalisé (NDVI), issues de la télédétection. Le cycle de développement annuel moyen de l'ensemble des cultures d'une province est divisé en trois stades : le stade végétatif (NDVI allant de 25 % à un maximum), la maturation (NDVI allant du maximum à 75 %) et la sénescence (NDVI décroissant et inférieur à 75 %). Bien que cette phénologie ne soit pas spécifique à une culture individuelle et que les trois stades couvrent des périodes assez larges par rapport aux observations phénologiques réelles, nous pouvons supposer que p.ex. la floraison du maïs a lieu à proximité du NDVI maximum, tandis que le remplissage des grains qui suit la floraison tombera souvent dans la phase ASAP appelée "maturation". Il est donc possible d'utiliser l'ensemble des alertes agricoles de sécheresse émises par ASAP pendant la période de maturation pour les alertes au risque de mycotoxines à base du climat (pour des informations en détail sur le système d'alerte ASAP voir Meroni et al. 2019). 

Les pluies exceptionnellement abondantes avant ou pendant la période de récolte représentent un autre facteur climatique généralement associé à un risque accru de contamination par les mycotoxines en raison d'une teneur en eau des grains plus élevée au moment de la récolte. Les données pluviométriques pour l'ensemble du continent africain sont disponibles auprès de nombreuses sources et sont généralement estimées à partir de données satellite ou de modèles de circulation atmosphérique. Ceci est dû à la faible densité du réseau pluviométrique que livrerait les données en temps quasi réel dans la plupart des pays africains. En même temps, des données précises sur la date de la récolte sont rarement disponibles et ne se laissent pas facilement dériver de données satellite. Cela signifie qu'il faut encore se servir d'approximations pour appliquer un modèle simple de fréquence pluviométrique accrue et de taux de précipitation anormaux avant la récolte. Notamment l'indicateur d'anomalie pluviométrique SPI1 (Indice de précipitation normalisé pour la pluviométrie mensuelle) peut servir d'indicateur de pluies exceptionnellement abondantes, si le mois précédant la récolte peut être déterminé. Quant aux indicateurs de sécheresse pré-récolte, la phénologie ASAP peut également être utilisée pour déterminer le mois précédant la récolte. Le stade de la sénescence (NDVI<75 % de sa valeur annuelle maximale) est proche de la fin de la saison des cultures, ce qui permet d'utiliser son écart temporel pour représenter approximativement la période de la récolte. Nous utilisons les anomalies de l'indice SPI1 (1 mois) (c'est-à-dire si SPI1 est supérieur à 1.5 sur plus de 25 % de la surface agricole d'une province) comme indicateur d'un risque accru de contamination par les mycotoxines en raison de quantités anormales de pluies. Ceci correspond à la probabilité statistique que les précipitations mensuelles tombant pendant la période de récolte fassent partie de 6.7 % des plus grandes quantités de pluie sur l'ensemble des séries temporelles. Les zones n'ayant pas ou que peu de précipitations pendant la période de la récolte ne sont pas cartographiées comme zones à risque.

Modélisation de la fréquence historique des risques liés aux mycotoxines

Les cartes affichent - par province - le pourcentage d'une décade (en moyenne des années 2004 à 2019) pendant lequel une exposition des cultures végétales à un risque accru de mycotoxines est probable en raison soit de conditions de sécheresse pré-récolte pendant la maturation (à gauche) soit de précipitations abondantes pendant la période de récolte (à droite) (Image : APHLIS)

Sur la base de la série temporelle complète de données ASAP - à la fois pour la sécheresse pré-récolte et pour les précipitations exceptionnellement abondantes pendant la période de récolte - des cartes historiques de risques de mycotoxines ont été calculées pour les 15 dernières années. Ces cartes donnent une idée du pourcentage moyen de la période de croissance des cultures affecté d'un risque agroclimatique accru lié aux mycotoxines, pour chaque province d'Afrique, montrant ainsi quelles zones peuvent être considérées comme les plus sensibles aux problèmes. Comme expliqué auparavant, ceci n'implique pas nécessairement que la présence définitive de mycotoxines est la plus élevée dans ces zones, puisque la présence réelle dépend d'autres facteurs, notamment des pratiques agricoles, de la variabilité dans les provinces et d'autres paramètres agroécologiques dont ce modèle simple ne prend pas compte. 

Références

Ayalew, A., Hoffman, V., Lindahl, J. & Ezekiel, C.N. (2016). The role of mycotoxin contamination in nutrition: the aflatoxin story. In: Achieving a nutrition revolution for Africa: the road to healthier diets and optimal nutrition. (Eds. N. Covic, S. L., Hendriks). Chapter 8. pp 98-114. Washington D.C.: IFPRI. http://dx.doi.org/10.2499/9780896295933_08

Battilani, P., & Leggieri, M. C. (2014). Predictive modelling of aflatoxin contamination to support maize chain management. World Mycotoxin Journal. http://doi.org/10.3920/wmj2014.1740

Chauhan, Y. S., Wright, G. C., Rachaputi, R. C. N., Holzworth, D., Broome, A., Krosch, S., & Robertson, M. J. (2010). Application of a model to assess aflatoxin risk in peanuts. Journal of Agricultural Science, 148(3), 341–351. http://doi.org/10.1017/S002185961000002X

Chauhan, Y., Tatnell, J., Krosch, S., Karanja, J., Gnonlonfin, B., Wanjuki, I., & Harvey, J. (2015). An improved simulation model to predict pre-harvest aflatoxin risk in maize. Field Crops Research, 178, 91–99. http://doi.org/10.1016/j.fcr.2015.03.024

Gbashi, S., Madala, N.E., De Saeger, S., De Boevre, M., Adekoya, I., Adebo, O.A., Njobeh, P.B. (2018). The socio-economic impact of mycotoxin contamination in Africa. In: Mycotoxins – Impact and Management Strategies. (Eds. P.B. Njobeh & F. Stepman). DOI: 10.5772/intechopen.79328 

Meroni, M., Rembold, F., Urbano, F., Csak, G., Lemoine, G., Kerdiles, H., Perez-Hoyoz, A. (2019). The warning classification scheme of ASAP – Anomaly hot Spots of Agricultural Production, v3.0, doi:10.2760/798528 https://mars.jrc.ec.europa.eu/asap/files/asap_warning_classification_v_3_1.pdf

Stathers, T., Lamboll, R. & Mvumi, B.M. (2013). Postharvest agriculture in changing climates: its importance to African smallholder farmers. Food Security, 5(3): 361-392. https://doi.org/10.1007/s12571-013-0262-z

Udomkun, P., Wiredu, A.N., Nagle, M., Bandyopadhyay, R., Müller, J., Vanlauwe, B. (2017). Mycotoxins in Sub-Saharan Africa: Present situation, socio-economic impact, awareness, and outlook. Food Control, 72(A): 110-122. https://doi.org/10.1016/j.foodcont.2016.07.039

Warnatzsch, E.A., Reat, D.S., Camardo Leggieri, M. & Battilani, P. (2020). Climate change impact on aflatoxin contamination risk in Malawi's maize crop. Frontiers in Sustainable Food Systems, 4. DOI:10.3389/fsufs.2020.591792